2 novembre 2009

Ravissement



     Je me souviens du ravissement vif que produisit sur moi la Vénus d'Urbino du Titien, aux Offices de Florence.
Rien à voir avec le Syndrome de Stendhal, quoique le contexte italien y tint un rôle certain, dans le fait que ce tableau, soudainement, m'aura aspirée et détachée du bourdonnement de la foule. Tenter de réprimer les larmes qui vinrent, je crois que ce fut ma seule résistance à l'ivresse pigmentaire qui m'emporta finalement, comme en dessous du vernis.
En battant des paupières, je froissais les étoffes. 
En reprenant mon souffle, je vis le frisson poudré des carnations éviter de pâlir. 
Un battement supplémentaire rendit évidents les contrastes.
Je ne me souviens plus être sortie du cadre pour n'y être jamais entrée.
Mais le tableau laisse une trace floue en mémoire qui m'incite à la remettre au point à chaque fois que j'y pense.
De nombreux commentaires seraient possibles. Je pourrais facilement interpréter, l'image est éloquente.


     Je n'aurais qu'à choisir parmi l'inventaire du langage. Un brin mâtiné de morale, un soupçon de psychanalyse, quelques notes de structuralisme éclairant un déconstructiviste détour émotionnel... Des palettes entières de mots prêts à revêtir ma psyché thermique, dans un bouillonnement oiseux de concrétions grammaticales.
Mais l'affaire, c'est qu'il n'y eut pas de mots précisément.
L'évidence de cette absence me fit appréhender le profil du langage, sur lequel perlait une larme dans l'obscurité de l'explicable. 
Quelque chose exsudait du masque de la représentation avant de glisser avec grâce dans l'ornière sombre du concret.
Mais l'imperceptible mouvement aura laissé sa trace, bien après que n'eut séché le souvenir. 
Et oui, devant la danse des enchantements, je capitule et les mots m'en tombent.
Si alors une voix pouvait se prononcer, elle pourrait ressembler à çà:

~ Gustave Mahler~
Symphonie n°5
~
  
          C'est pour cela sans-doute que les tentatives de traduction de phénomènes si ténus, et que l'on voudrait confier à l'ordinaire d'une ambiance de bistrots par exemple, seront le plus souvent apparentées à l'exagération snob d'une voix confite de fatigue ou d'alcool. Si elles s'élèvent sur le ton de la confidence, elles n'obtiennent pour réplique que le négationnisme con-sensuel d'une altérité qui ne les auront pas traversées.
Peut-être que, comme me le fit remarquer l'ami Mathieu citant Robert Walser:
Il y a des histoires que personne,
jamais, et peut-être, à vrai dire, parce qu'elles sont trop aimées,
n'accepte qu'on raconte, même avec la meilleure volonté.
Étrange qu'une certaine beauté en nous,
soit impropre à l'usage artistique.

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